L’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) est une maladie neurologique « transmissible par voie alimentaire » du bovin. On parle de maladie à prion parce que l’agent de l’ESB est une protéine prion – une particule beaucoup plus petite qu’un virus -, de forme anormale et pathogène. Très résistante au processus de décontamination habituel des virus et bactéries, cette protéine s’accumule dans les tissus nerveux et déforme des protéines prion « normales » présentes dans les cellules. Le prion pathogène va induire une mort neuronale et endommager de façon irrémédiable le cerveau en le rendant semblable à une éponge (d’où le qualificatif de spongiforme).
Les origines du prion ESB
Le prion a été découvert par des chercheurs américains en 1982. En 1986, le Royaume-Uni diagnostique son premier cas d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Les scientifiques ont envisagé au départ que le prion ESB pouvait être un « descendant » de l’agent infectieux de la tremblante, une maladie qui affecte les moutons et qui est connue depuis 200 ans. L’incorporation de cadavres de moutons dans les farines animales aurait permis cette « adaptation » aux bovins. Puis, on a incriminé l’alimentation bovine dans le processus de contamination. Une protéine prion, ayant évolué vers une forme pathogène, existait de façon sporadique (cas isolés) dans la nature. L’utilisation de « cadavres d’animaux » dans l’alimentation animale des jeunes animaux (veaux, agneaux…) a permis sa dissémination.
La question controversée des farines animales
Les farines animales proviennent de carcasses d’animaux broyées, transformées en farines de viande et d’os, incorporées dans l’alimentation bovine à hauteur de quelques pourcents, comme complément de protéines. Dans les années 1980, les industriels ont réduit les températures de fabrication de ces farines pour diminuer leurs coûts. On a supposé que le prion, protéine très résistante à la chaleur, se serait développé à la faveur de ce changement de traitement. Via l’alimentation animale, un véritable cycle de contamination de l’élevage se serait ainsi enclenché, principalement en Grande-Bretagne (180 000 cas de bovins atteints d’ESB), et dans une moindre mesure en France (un millier de vaches « malades » entre 1991 et 2005).
Pourtant, la responsabilité des « farines animales » est contestée ou relativisée par des spécialistes du prion ESB (D.M.Taylor). Ils ont démontré que le prion survit même à des chauffages très élevés. Il reste 5% de contagiosité d’un organe contaminé après un chauffage sec à 600° pendant 15 minutes !
Certitude, le veau peut être contaminé par voie digestive. La contamination s’effectue essentiellement par les granulés pour jeunes bovins, granulés donnés pour favoriser le sevrage (des protéines animales transformées issus de la cuisson d’os contaminés : crânes et colonnes vertébrales de bovins) et dans une mesure moindre par les lacto-remplaceurs (constitués de corps gras non sécurisés issus des mêmes os de cuisson).
Coup de tonnerre : l’ESB transmissible à l’homme !
Printemps 1996, les scientifiques établissent le lien entre des patients atteints d’une variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (v-MC-J) et l’agent de l’encéphalopathie spongiforme bovine. La maladie classique de Creutzfeldt-Jakob dite sporadique est une maladie neurodégénérative rare (nettement moins d’un cas par million d’habitants et par an,) caractérisée principalement par une démence. La variante de la maladie touche des individus nettement plus jeunes (25 ans en moyenne).
La contamination, après une incubation de plusieurs années, peut déclencher cette maladie neuro-dégénérative mortelle et incurable. La nouvelle fait l’effet d’un fantastique coup de tonnerre. A la différence de la tremblante du mouton, supposée non transmissible à l’homme, la maladie de la « vache folle » s’avère contaminante pour l’homme, sans que personne ne connaisse à l’époque l’ampleur du risque. Dix ans après, la catastrophe sanitaire redoutée par certains épidémiologistes n’a pas eu lieu. Le nombre de décès par v-MC-J n’a pas dépassé 200 personnes. Un soulagement pour nombre de responsables publics.
La viande et le lait au-dessus de tout soupçon
L’agent de l’ESB n’a jamais été détecté ni dans le « muscle bovin » (c’est à dire la viande), ni dans le lait. Toutes les recherches prouvent que le prion chez les bovins se localise uniquement dans le cerveau, la partie du système nerveux reliant cerveau et tube digestif, l’iléon (partie terminale du petit intestin grêle). Bref, des zones extrêmement délimitées. Les experts de l’OMS et de l’UE sont catégoriques sur l’innocuité totale du lait de vache et de la viande de bœuf.
Ovins et caprins : un risque de contamination exceptionnel mais réel
Diverses recherches – en particulier les travaux de Françoise Cathala avec la collaboration de l’américain Gajduseck (prix Nobel pour ses travaux sur les encéphalopathies spongiformes transmissibles) et du professeur Castaigne (célèbre neurologue français) -, tendent à prouver une possible contamination du très jeune enfant, via la consommation de mouton atteint de tremblante (la cervelle, en particulier). Cette contamination rarissime pourrait se produire lorsque les familles suivent certaines coutumes alimentaires (consommation fréquente de cervelle de mouton ou des yeux de mouton, par exemple). Des ovins et caprins, ayant ingéré des aliments contaminés, peuvent ainsi être porteurs de l’agent de l’ESB. Les pouvoirs publics ont dû réviser totalement leurs positions. L’Afssa a admis que si l’agent infectieux reste localisé dans certains tissus chez les bovins, il est nettement plus diffusé chez les petits ruminants (ovins, caprins, etc.). L’agence estime même qu’il n’est pas possible de garantir un haut niveau de sécurité au lait et aux produits laitiers provenant de petits ruminants. Les mesures de dépistage resteraient encore insuffisantes en la matière.
Les mesures de sécurité
• L’abattage des troupeaux contaminés
La France a procédé pendant plusieurs années à l’abattage total du troupeau en cas d’ESB. Un excès de précaution semble-t-il, car l’agent de l’ESB n’est pas un virus et ne se diffuse pas par contacts inter-animaux (rapport du Dr JL Thillier). On est ensuite revenu à l’abattage partiel, c’est-à-dire seulement l’abattage de la cohorte de naissance (les animaux nés dans la même période), et les veaux ayant mangé le même lot d’aliments contaminés.
• L’interdiction des farines animales
Face à la menace d’une crise sanitaire majeure, les pouvoirs publics ont adopté une politique de sécurité de plus en plus stricte. En 1990, la France interdit l’emploi de farines animales et de granulés dans l’alimentation des bovins (la mesure a sans doute été en partie contournée pendant une période), puis dans celle des ovins et caprins (1994). En novembre 2000, l’interdiction des farines animales est élargie à tous les animaux d’élevage consommés par l’homme (poulet, porc, poisson). En 2001, on se décide (enfin) à interdire la source principale en France qui expliquait les cas super-naïfs (nés après l’interdiction des farines et des PAT) : l’utilisation de graisses d’équarissage dans les lacto-remplaceurs et les granulés pour jeunes animaux (veaux, agneaux, cabris).
• Le retrait des MRS
La mesure la plus importante est le retrait de ce que les spécialistes appellent les « matériels à risques spécifiés » (MRS), susceptibles chez un animal malade de contenir l’agent infectieux : les parties liées au système nerveux central (cerveau, moelle épinière, ganglions rachidiens…) et aux tissus lymphoïdes (amygdales, rate, intestins). Depuis 1996, les industriels de l’abattage et de l’équarissage sont dans l’obligation de prélever ces parties et de les incinérer.
• Réseau de surveillance et tests des animaux suspects.
Depuis 1991, un réseau d’épidémio-surveillance de vétérinaires et d’inspecteurs des abattoirs passe au crible tous les animaux présentant des signes nerveux, examine les animaux abattus pour troubles nerveux ou présentant ces troubles à l’entrée à l’abattoir. Tous les animaux de plus de 24 mois sont soumis à un test de dépistage de l’ESB. L’Europe a également adopté un programme de surveillance active de tous les animaux suspects de plus de deux ans entre 2000 et 2003.
Un bilan beaucoup moins dramatique qu’on le craignait
Au printemps 2007, on recensait au total 159 victimes du variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. En France, six personnes sont décédées de cette maladie en 2006, autant en 2005. Soit une vingtaine au total depuis 1996 (chiffres de l’Institut de Veille Sanitaire). Si des cas de variant de Creutzfeldt-Jacob émergent encore aujourd’hui, c’est en raison d’une longue incubation chez l’Homme (15 ans et plus) et donc d’une contamination très ancienne. Certains scientifiques estiment que l’on est proche d’avoir éradiqué l’ESB dans les pays les plus avancés en matière de prévention. Dès lors, la possible réintroduction des farines animales, source importante de protéines animales, redevient d’actualité, d’autant plus qu’il est possible de les sécuriser, estiment les spécialistes.
Photo : Inserm