« Les Français restent très attachés à leur modèle alimentaire »
L’alimentation est aussi affaire de tradition. Trois repas par jour, variés, pris à heure fixe, synonymes de convivialité… Les Français restent très attachés à leur modèle alimentaire, même si celui-ci est en train d’évoluer. Jean-Louis Lambert, sociologue de l’alimentation, s’en explique.
Qu’est-ce que le modèle alimentaire français ?
En France, les prises alimentaires se concentrent sur trois principaux repas, comportant plusieurs plats et pris à heures régulières et communes (à 12h30 chaque jour, plus de 54% des Français sont attablés). Le repas est un moment festif, convivial. Au moins un repas par jour est pris en famille. Notre modèle alimentaire fait l’objet d’un attachement culturel important. Les images positives liées aux produits du terroir ou au vin consolident cet attachement. Le grignotage a une mauvaise réputation auprès des Français.
Le modèle français est-il bénéfique sur le plan nutritif ?
La concentration des apports énergétiques lors des repas et la diversité de ces apports sont bénéfiques pour la santé, estime-t-on en général. En France, seuls 10% des calories sont absorbées hors repas, contre 21,6 % aux Etats-Unis.
En quoi la France diffère-t-elle des autres pays ?
Au Royaume-Uni, beaucoup de gens ne mangent pas en famille. Le repas de midi ne rassemble que 17% de la population. Le repas français se caractérise par l’ordre des mets (entrée, plat, dessert), alors qu’en Chine, tous les plats sont servis en même temps. En Amérique du Sud, ils sont même présentés dans une seule assiette.
Aux Etats-Unis, se nourrir est considéré comme un acte technique, fonctionnel, qui peut être bref et fréquent, effectué parallèlement à d’autres activités. Une autre différence typiquement française, c’est l’importance de la convivialité. 15 % des repas sont festifs : ils durent plus d’une heure et sont pris avec d’autres convives, chez des amis ou au restaurant.
De nouvelles pratiques alimentaires apparaissent pourtant ?
Bien sûr. Les nouveaux modes de vie perturbent le modèle. Je pense au sandwich avalé en dix minutes, devant l’écran d’ordinateur, ou au « snacking » du quotidien. On mange aujourd’hui en marchant dans la rue, dans la voiture, en faisant ses courses. Les produits prêts-à-manger (plats cuisinés, traiteur, pizza, sandwiches, kebab) et leur distribution (livraison à domicile, drives, ventes ambulantes, boulangeries, stations-service, distribution automatique…) changent la donne. Ce sont surtout les jeunes qui se tournent vers des produits transformés et préparés. Le week-end, certains jeunes ne prennent pas le temps de se préparer à manger. Ils privilégient le sport, les loisirs.
Qu’est-ce qui favorise cette évolution ?
L’urbanisation, les publicités alimentaires, l’éclatement de la famille, entre autres, modifient les modes de vie. Les exigences liées au monde du travail poussent à la réduction du temps passé à table. Le modèle alimentaire français se transmet toujours au sein de la famille, mais d’autres influences culturelles vont s’exercer, comme l’école par exemple qui joue un rôle de transmission grandissant par rapport à la famille.
Le modèle alimentaire classique est-il remis en question ?
La société évolue. Il est donc normal que notre façon de manger évolue avec elle. Le modèle typiquement français est toujours très majoritaire : le temps du repas reste valorisé pour lui-même ; il apparaît comme nécessaire à la vie en société. Mais il n’y a plus un modèle unique. Nous sommes désormais au cœur d’une interaction de plusieurs modèles. On parle de « mangeurs pluriels ». Un même individu peut enchaîner sans état d’âme un restaurant gastronomique, un fast-food, un repas devant sa télévision, un repas classique en famille….
En savoir plus :
Jean-Louis Lambert, économiste et sociologue, étudie depuis 40 ans les pratiques alimentaires et leurs évolutions. Il a été enseignant-chercheur, professeur à l’ENITIAA de Nantes jusqu’en 2007. Voir son site Internet.