Le retour des farines animales

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Farines et protéines animales

Farines et protéines animales

La Commission européenne, avec le feu vert du Parlement, pourrait réintroduire cette année la consommation de protéines et farines animales dans l’élevage. Des scientifiques s’en inquiètent. Selon eux, les menaces liées au prion et à l’ESB sont toujours devant nous.

 

Après l’autorisation accordée pour les poissons d’élevage, la Commission européenne va probablement franchir un pas supplémentaire vers la réintroduction des farines animales interdites depuis 2001. Prochaine étape, l’autorisation des protéines animales transformées (PAT) provenant de poissons, porcs, volailles (non-ruminants) pour  l’alimentation de porcs, volailles et poissons (par protéines animales transformées, les spécialistes nomment des parties d’animaux saines et non les carcasses).

 

Pas pour les ruminants

 

Officiellement, il n’est pas question d’autoriser les farines animales fabriquées à partir de carcasses de ruminants. Encore moins d’autoriser les farines animales d’origine bovine ou ovine, à destination de ruminants. Cette pratique avait déclenché dans les années 1980 une épidémie d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) principalement en Grande-Bretagne (200 000 bêtes atteintes), et dans une moindre mesure dans les autres pays européens. La crise de la vache folle entrainaît à l’époque, l’abattage de 4,5 millions de ruminants rien qu’au Royaume-Uni, par crainte de contaminations massives.

 

Maladie de Creutzfeldt-Jakob

 

Au cœur de la crise, scientifiques et pouvoirs publics avaient craint le pire : la contamination massive des populations ayant  consommé des produist issus d’animaux atteints par l’ESB (présent dans les tissus des animaux malades), et une diffusion très rapide du variant de la maladie Creutzfeldt-Jakob. La catastrophe sanitaire ne s’est pas produite : à l’heure actuelle, on n’a pas recensé plus de 200 cas de cette maladie neurodégénérative, loin des prédictions les plus sombres. Une vingtaine d’années plus tard, les fonctionnaires de la Commission européenne, s’appuyant sur diverses évaluations scientifiques, jugent les risques d’une nouvelle épidémie de « vache folle » bien circonscrits . Il est donc temps, estiment-ils, de redonner aux filières d’élevage l’accès à des protéines animales à bas prix.

 

Accumulation anormale

 

Pour certains scientifiques experts du prion, cette analyse fait fi du risque potentiel lié à la dissémination de l’agent infectieux. Le prion est un agent pathogène très spécifique : il s’agit d’une protéine présente dans les membranes cellulaires qui se transforme et s’accumule de façon anormale principalement dans le système nerveux central, entraînant des troubles neurologiques graves.

 

Cette protéine fait preuve d’une résistance  exceptionnelle, que ce soit à la chaleur, aux rayonnements ionisants, aux traitements chimiques, ce qui rend très compliquée toute tentative de décontamination. Le prion responsable de l’ESB a en outre montré sa capacité à franchir différentes  barrières des espèces, et  à se transmettre, par voie alimentaire, de l’animal à l’Homme. Ces dernières années, on a identifié de nouveaux agents responsables de maladies à prion chez les ruminants, comme la BSE-L qui semble posséder un pouvoir accru à franchir cette  barrière (pas comparaison à l’ESB).

 

Incubation sur des années

 

Loin d’être une menace passée, les problèmes sanitaires dues à l’ESV/variant de la  maladie Creutzfeldt-Jakob sont peut-être devant nous. Une étude épidémiologique britannique (juillet 2012) a montré qu’un nombre conséquent de citoyens britanniques (de l’ordre de 1 sur 2000) seraient en incubation de la maladie. La durée d’incubation pouvant atteindre des années, la survenue de milliers, voire de dizaines de milliers de cas, resterait à craindre.

En parallèle, l’existence de nombreux porteurs de la maladie  pose la question inquiétante de la contamination « silencieuse » par voie médicale (transfusion sanguine, actes de chirurgie, soins dentaires…). Face à l’incapacité actuelle de réaliser une décontamination efficace des matériels médicaux, un grand nombre d’équipements coûteux utilisés sur des patients à risques (endoscopes  et fibroscopes notamment)  sont « consignés »  sans qu’on sache quoi en faire.

 

Matériaux à risque

 

Durant la crise  des années 1980-1990, les pouvoirs publics européens ont pris trois types de mesures visant à contrôler et éradiquer les maladies à prions des populations de ruminants en Europe : un programme d’épidémio-surveillance, l’interdiction absolue des farines animales dans l’alimentation animale (et donc la destruction des carcasses de ruminants), l’élimination systématique de la chaine alimentaire des « matériaux à risque spécifié » (MRS), c’est-à-dire  des tissus de bovins-ovins-caprins pouvant contenir de l’agent infectieux et être très infectés (amygdales, cervelle, moelle épinière, tissus lymphatiques…).

 

De nouvelles épidémies

 

Année après année, on assiste à un allègement de ce dispositif et à un retour progressif vers la case départ. Or, cet assouplissement est discutable pour deux raisons majeures. D’une part, il semble  légitime de douter  que les industriels du secteur « retraitement des carcasses animales et production de protéines animales » puissent effectivement  offrir  le niveau de garanties nécessaire à la prévention  de contaminations croisées des filières de production. Garanties absolument nécessaires pour prévenir un recyclage intraspécifique des prions.  D’autre part, le prion pose toujours un grand nombre des questions scientifiques  qui laissent planer le risque d’émergence de nouvelles épidémies.

 

 

Bernard Duran

 

A lire aussi :

Les farines animales : feu vert de l’Europe dans l’aquaculture

ESB

 

Sources  :

www.neuroprion.org/fr/les-prions.html

http://presse.inra.fr/Ressources/Communiques-de-presse/prion-transmission-interespeces

http://agriculture.gouv.fr/materiels-a-risque-specifies-mrs

www.slate.fr/story/39623/vaches-folles-farines-animales

www.slate.fr/tribune/69619/farines-animales-europe