A 26 ans, il fut le plus jeune chef couronné de deux étoiles au Guide Michelin. En 1986, il lance l’Arpège, à Paris (VII). Depuis 17 ans, il y fait briller trois étoiles. Alain Passard est l’un des ambassadeurs les plus ardents du légume et du respect de la nature.
L’époque des rôtis
Qui s’en souvient encore ? Alain Passard, chantre de la cuisine légumière, a eu sa période carnivore. Courant des années 1990, on pouvait encore l’entendre dire : « Je me définis comme un rôtisseur, j’aime la cuisson visuelle et sonore à la plaque. Cette cuisson réclame plusieurs heures d’attention pour cuire des pièces que les cuisiniers et moi observons, retournons, tâtons, écoutons… Les viandes reposent, gardent leur moelleux et cuisent à cœur. »
Vers la fin des années 90, c’est le grand tournant vers le végétal. Lui qui a passé une dizaine d’années à perfectionner son travail des viandes, les supprime quasi intégralement de sa carte, pour se consacrer à la cuisine des légumes. « La cuisine légumière est une des plus créatives », estime-t-il.
Ecologique et traditionnel
En 2002, il créé son premier potager, à Fillé sur Sarthe, pour approvisionner son restaurant. Deux autres suivront dans l’Eure et dans la Manche. Il s’agit de cultiver dans un respect total de la nature. On y désherbe à la main. Seuls les traitements d’origine végétale (macérations de plantes…) sont utilisés pour lutter contre les maladies et les ravageurs. Les auxiliaires naturels (oiseaux, batraciens, coccinelles…) sont les bienvenus.
Ici, on a banni le motoculteur et le tracteur qui ont le défaut de tasser la terre ou de la creuser trop profondément. Les jardiniers de Passard utilisent les bons vieux chevaux de trait et les charrues d’antan afin de ne travailler que la couche supérieure de terre riche en humus.
Légumes grand cru
Dans les potagers de l’Arpège poussent fleurs, plantes, et légumes, beaucoup de variétés anciennes injustement oubliées (topinambours, rutabagas…). Alain Passard parle de ses petits pois comme de « caviar vert » et ce n’est pas du snobisme. Ses légumes acquièrent le statut de grand cru. La nature est sa religion. « Le plus beau livre de cuisine a été écrit par la nature. En respectant les saisons dans les casserolles, cela fonctionne tout de suite » dit-il.
Cuisine sans maquillage
Alain Passard a été l’un des premiers chefs à prôner le respect des produits, à savoir aller à l’essentiel, avec « des petits gestes très simples et précis pour peu transformer le produit, le respecter. ». « Je cuisine sans maquillage : c’est comme la femme que l’on aime, que l’on trouve belle dès le réveil, au naturel », ose-t-il. Cette recherche de simplicité le pousse vers le cru (salades, carpaccios…) ou des gestes inattendus telle cette cuisson des asperges à la verticale.
Le geste et le visuel
Alain Passard a rarement écrit de livres de recettes. Il n’aime pas les photos de recettes qui ne disent rien du « geste » et trahissent l’esprit de la cuisine. Un jour, victime d’un décalage horaire au cours d’un voyage en Asie, il griffonne une série de croquis qui donnent naissance à un livre de recettes totalement original, ponctué de collages colorés.
Ces collages sont bien plus que des illustrations de textes. « On parle toujours du goût et du nez, dans ce métier. J’ai voulu faire entrer avec mes collages le geste et le visuel en cuisine », explique-t-il. Le visuel comme une des harmonies de la cuisine ? « Le collage du cèpe au citron à la fleur de thym et huile d’olive a des contrastes, des profondeurs de sousbois, avec un confit de citron qui prend la lumière par surprise. »
Crédit photo: Bernhard Winkelmann.
Références :
Collages et recettes. Alain Passard. Editions Alternatives.
« En Cuisine Avec Alain Passard » Bande dessinée de Christophe Blain, avec moults recettes, conseils, visites aux potagers et plongées en cuisine.
L’Arpège, 84 rue de Varenne. Paris VII. Tel. 01 47 05 09 06