« Les connaissances scientifiques en cuisine au service de l’émotion et des sens »
Raphaël Haumont, est chercheur en physico-chimie des matériaux, maître de conférences à l’université Paris Sud (Orsay). En 2005, il rencontre le chef Thierry Marx et oriente ses recherches vers la cuisine. En 2012, il créé le Centre français d’innovation culinaire avec Thierry Marx.
La connaissance de la chimie et de la physique permet de mieux cuisiner ?
La science nous permet de connaître la composition des produits et leurs propriétés. Les aliments peuvent être considérés comme des matériaux alimentaires dont la structure intime conditionne les propriétés. En cuisine, on utilise des principes physiques (comme la montée en température ou la pression) pour déstructurer et on recompose. Grâce aux connaissances scientifiques, les cuisiniers peuvent comprendre ce qu’ils font, réfléchir à leurs pratiques, et du même coup, concevoir de nouveaux plats, innover.
Dans votre ouvrage « Un chimiste en cuisine », vous expliquez que la science permet de s’orienter vers une cuisine plus précise, plus près des produits.
Le fait de comprendre ce qu’est réellement une émulsion, une mousse, un gel permet d’atteindre une maîtrise nouvelle et d’aller plus loin. On peut réaliser une mousse de pamplemousse, sans blanc en neige, avec 99% de pamplemousse et un peu d’algues kanten, qui va véritablement exploser en bouche.
Autre exemple, cuire aux justes températures permet de préserver le goût des aliments, car les molécules aromatiques sont très sensibles à la chaleur. Aujourd’hui, les grands chefs sont d’une extrême précision, ce qui leur permet d’être au plus près des produits et de reproduire leurs recettes à la perfection.
La science permet d’ éviter des erreurs en cuisine ?
Effectivement. Beaucoup de gens surcuisent les légumes à grosses ébullitions, ce qui détruit les vitamines et les arômes. D’autres poussent leur friture à 185°, ce qui est nocif, alors que 145° suffisent. Beaucoup colorent les jus de viande avec des oignons brûlés, riches en pyrobenzènes cancérigènes.
Selon vous, la cuisine « moléculaire » ne doit pas s’apparenter à une cuisine froide et expérimentale, mais doit rester une cuisine au service des sens et de l’émotion ?
Thierry Marx dit très justement qu’ il n’y a pas de conflit entre cuisine traditionnelle et cuisine moléculaire. Il est vrai que tout est moléculaire, même la cuisine de nos grands-mères. La cuisine moléculaire est tout simplement la cuisine d’aujourd’hui, faite avec les connaissances et les outils de notre époque, comme l’azote liquide, les pompes à vide, les thermoplongeurs…
Connaître la structure des aliments donne accès au travail des textures, et donc à la possibilité d’améliorer le confort de dégustation et de déclencher des émotions.
Un exemple d’innovation permise par une meilleure connaissance scientifique ?
Prenez la mousse au chocolat. D’un point de vue scientifique, c’est du gras, de l’eau et du gaz (des bulles d’air piégées). En réalité, on peut obtenir la texture de la mousse de chocolat sans utiliser des jaunes d’œufs et des blancs en neige, ou du beurre. Changez les ingrédients : battez du foie gras avec un vin blanc type Monbazillac. Cela donne une émulsion, qui mise à refroidir dans un siphon, permet de confectionner une mousse inédite que l’on peut servir en amuse-bouche ou en entrée.