Marie-Françoise Samson (photo en une), ingénieure en biochimie alimentaire, Inra, et Dominique Desclaux, chercheuse en agronomique et génétique, Inra (photo ci-dessous), sont au coeur du projet « Gluten : mythe ou réalité », qui cherche à mieux cerner la question de l’hypersensibilité au gluten.
L’équipe projet recherche actuellement des témoignages de personnes estimant être touchées par l’hypersensibilité au gluten (*).
L’Inra mène en collaboration avec le Biovicam 11, association d’agriculteurs bio de l’Aude, un projet de recherches sur l’hypersensibilité au gluten, intitulé Gluten : mythe ou réalité. Précisez-nous la genèse de ce projet ?
Au début des années 2000, des agriculteurs bio sont venus nous voir car ils ne parvenaient pas à produire un blé dur correspondant aux cahiers des charges de l’industrie. En bio, seuls les engrais organiques sont permis (en non les engrais minéraux) mais ils sont assez coûteux.
Les agriculteurs fertilisent donc peu ; et par conséquent les plants de blé subissent une carence azotée qui empêche d’atteindre une bonne teneur en protéines des grains. Cela donne un blé dur partiellement farineux (pas totalement vitreux), qui ne convient pas à la transformation en semoule puis en pâtes.
Nous avons donc travaillé tous ensemble dans le cadre de démarches de sélection participative pour obtenir des variétés capables d’atteindre un niveau de protéine assez correct malgré des carences azotées .
Ces mêmes agriculteurs sont revenus vous consulter il y six à sept ans ?
Une partie d’entre eux sont devenus des paysans pastiers et des paysans boulangers, c’est-à-dire qu’ils écrasent les grains qu’ils produisent et fabriquent avec, des pâtes alimentaires ou du pain. Certains de leurs clients, présentant habituellement des symptômes d’hypersensibilité au gluten, ont déclaré n’avoir aucun problème avec leurs produits fabriqués à partir de variétés de blé dites anciennes. Ils voulaient étayer scientifiquement cette position.
De là est né un projet ambitieux qui cherche à « identifier les éventuels déterminants » de l’hypersensibilité au gluten ? Déterminants qui peuvent être génétiques, agronomiques, technologiques, sociologiques ?
Ce projet est une co-construction entre agriculteurs, artisans, industriels, chercheurs. Il comprend plusieurs volets de recherches concernant les consommateurs eux-mêmes, les méthodes des producteurs, les variétés de blé utilisées, les procédés de fabrication utilisés…. On pose des questions telles que : Qui sont les hypersensibles au gluten ? Qu’est-ce que l’hypersensibilité ? Quelles sont les caractéristiques communes aux paysans pastiers/boulangers : variétés de blé dites anciennes versus variétés industrielles, culture bio… ? Quelles sont les spécificités des processus utilisés (meule en pierre, levain, vitesse pétrissage, température de séchage des pâtes) ?
Une partie importante de la recherche concerne les variétés de blé, leur profil génétique et technologique ?
L’un des objectifs de la recherche est d’étudier les variétés de blé dur et tendre utilisées d’une part par les agriculteurs bio du groupement, et d’autre part par les industriels, d’identifier si il y (a éventuellement des différences entre ces variétés ; et le cas échéant, si ces différences pourraient expliquer les réactions des consommateurs.
On évoque le rôle des protéines constituant le gluten (gliadines, gluténines) dans le phénomène d’hypersensibilité. Qu’en pensez-vous ?
A ce jour, il n’y a aucune certitude sur le fait que les protéines soient à l’origine de l’hypersensibilité au gluten. C’est une piste parmi d’autres. Nous allons donc étudier la composition en protéines, les proportions de ces protéines selon les variétés de blé, etc. On va chercher à savoir si les glutens ont des qualités, des propriétés différentes en fonction de la variété de blé, en fonction du système de culture, en fonction de l’étape de transformation du produit. .
On entend souvent dire que la sélection des variétés de blé depuis l’après-guerre liée à la quête de rendement ou à la recherche d’une panification plus facile ou plus rapide serait à l’origine d’un gluten plus agressif ?
Notre recherche ne porte pas sur l’histoire de la sélection des blés en général. Nous travaillons uniquement sur les variétés utilisées par un ensemble d’agriculteurs bio d’une région, et sur celles utilisées par l’industrie, soit une vingtaine de variétés de blé tendre et autant de blé dur. On étudie les différences de qualité des glutens entre ces variétés précisément.
Votre projet porte aussi sur les symptômes de l’hypersensibilité au gluten et le vécu des malades ?
Effectivement, nous faisons un appel à témoignages. Nous demandons à des personnes hypersensibles de remplir un questionnaire très détaillé, élaboré avec des médecins et des sociologues. Les personnes doivent décrire précisément leurs symptômes, ce qu’elles ressentent (ou ressentaient), dans quelles circonstances, ce qu’elles mangent ou mangeaient, etc. Cette cohorte va nous permettre de mieux identifier l’hypersensibilité au gluten, faire la distinction entre des malades et des situations plus bénignes d’inconfort digestif. Certains malades passent par de vrais parcours du combattant qui durent parfois dix à quinze ans avant de trouver une solution par l’exclusion du gluten.
Ces recherches sont pluridisciplinaires. Plusieurs services et laboratoires de l’Inra y participent ?
Dans le projet intitulé : Gluten : Mythe ou Réalité, quatre équipes de l’Inra : des sociologues, des biochimistes, des microbiologistes, des agronomes et des généticiens collaborent. Le point central est que l’on travaille tous sur le même matériau de départ : des variétés de blé cultivées à un endroit précis, des produits analysés à la sortie des champs ou du moulin…. C’est un projet cohérent, très participatif, avec une forte communication entre toutes les équipes.
Quand pensez-vous être en mesure de rendre publiques vos recherches ?
Les premiers résultats devraient être disponibles fin 2020, courant 2021.
*Note : Les personnes souhaitant contribuer à l’enquête réalisée dans le cadre du projet « Gluten : mythe ou réalité » peuvent adresser un courrier à l’adresse mail suivante :
dominique.desclaux@inra.fr