Nadine Cerf-Bensussan est responsable de l’équipe de recherche du Laboratoire Immunité Intestinale – INSERM U1163 Institut IMAGINE et Université Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité. C’est l’une des premières à avoir étudié le système immunitaire de l’intestin. Ses recherches l’ont conduit à travailler sur les troubles intestinaux attribués au gluten.
Beaucoup de personnes se plaignent de troubles gastrointestinaux qu’ils imputent au gluten ?
La consommation de blé ou des céréales apparentées, avec les protéines de gluten qu’elles contiennent, peut être responsable de manifestations pathologiques souvent regroupées sous le terme d’hypersensibilité au gluten. Ce terme recouvre en fait trois entités différentes : l’allergie au gluten, la maladie coeliaque, et la sensibilité au gluten non cœliaque.
Comment se caractérise l’allergie au gluten ?
L’allergie au gluten qui affecterait 0,1% de la population est plus fréquente chez le jeune enfant. Elle peut être responsable d’ eczéma. Comme autres symptômes, on peut citer l’urticaire, l’œdème de Quincke, le choc anaphylactique. Le diagnostic repose sur la mise en évidence d’anticorps de type IgE et sur des tests cutanés à réaliser dans les formes sévères en milieu hospitalier. Le traitement repose sur un régime éliminant les protéines du blé. Cette allergie est souvent transitoire au moins chez l’enfant.
Qu’est-ce que la maladie cœliaque ?
Au cours de la maladie cœliaque, encore appelée intolérance au gluten, l’ingestion de gluten de blé (ou de protéines homologues de l’orge ou du seigle) induit une réponse immunitaire dans l’intestin dont le mécanisme est proche de celui de maladies auto-immunes. Cette réaction entraîne des lésions de l’intestin grêle (atrophie villositaire). Ces lésions réduisent l’assimilation des aliments et provoquent divers symptômes : diarrhée chronique, amaigrissement, douleurs abdominales, anémie, fatigue… et chez l’enfant, cassure de la courbe de croissance.
Certaines personnes atteintes de maladie cœliaque ne présentent pas ce type de symptômes…
Il y a effectivement des formes atypiques fréquentes où les patients présentent peu de symptômes, notamment d’ordre digestif. Certaines maladies cœliaques peuvent aussi se révéler par des symptômes non digestifs. Le diagnostic de maladie cœliaque repose sur la mise en évidence dans le sang d’anticorps spécifiques d’une enzyme, la transglutaminase. Le diagnostic doit être confirmé, notamment chez l’adulte, par un examen endoscopique avec biopsies Le traitement est un régime sans gluten à vie qui guérit les symptômes et améliore ou guérit les lésions intestinales Il est indispensable de faire le test sanguin avant de commencer le régime, car celui-ci fait disparaître les anticorps caractéristiques de la maladie.
Quel pourcentage de la population est touché ?
En France, nous n’avons pas d’évaluation précise, uniquement des indices. Aux Etats-Unis et en Europe, on estime que la prévalence de la maladie cœliaque serait de 1% environ. Cela en ferait la maladie gastro-intestinale la plus fréquente.
La maladie cœliaque devient plus répandue ?
Il semble que l’on assiste à une augmentation de cette affection depuis 30 ans. Celle-ci peut-être mise en parallèle à l’augmentation très importante dans les pays industrialisés des maladies auto-immunes, allergiques et inflammatoires. La maladie cœliaque se rapproche en effet des maladies auto-immunes. Elle se développe chez des individus ayant un profil génétique spécifique (appartenant notamment aux groupes tissulaires HLA-DQ2 ou HLA-DQ8) et se caractérise non seulement par une réponse immune anormale contre le gluten alimentaire, mais aussi contre une protéine endogène, la transglutaminase. En outre elle peut s’associer à de véritables maladies auto-immunes, telles le diabète de type I et les thyroidites.
Les raisons de l’augmentation des maladies auto-immunes et allergiques restent mal comprises mais elle est souvent mise en parallèle à la diminution des maladies infectieuses.
Diverses voix mettent en avant l’émergence de nouvelles variétés de blé comme cause possible de cette montée de la maladie cœliaque…
Les données actuelles ne permettent pas d’affirmer cette hypothèse. La sélection de variétés de blé a commencé depuis très longtemps. La sélection variétale vise par exemple à stabiliser les rendements ou encore à adapter les farines aux techniques de panification actuelles, par exemple pour améliorer la force des farines (la capacité d’une pâte à être déformée). La quantité de gluten dans les variétés a peu changé au cours des 50 dernières années. La teneur moyenne en protéines des blés français (présentes à 80% dans le gluten) se situe autour de 11-12%. En revanche, la taille des polymères formant le gluten peut varier en fonction de différents paramètres (climat, variété).
Certaines personnes se disent sensibles au gluten mais en réalité ne sont pas atteintes de maladie cœliaque…
On parle beaucoup de cette catégorie d’affections, réunie sous le terme d’hypersensibilité au gluten non cœliaque. Chez ces patients, les tests ne révèlent pas d’intolérance au gluten ou d’allergie au blé. Les symptômes rapportés sont gastro-intestinaux (douleurs ou inconfort abdominal, diarrhée) ou extra-digestifs (fatigue, maux de tête, douleurs musculaires…). Ces manifestations ressemblent à celles du syndrome du colon irritable, une affection pour laquelle on consulte beaucoup mais dont les mécanismes restent mal compris, les symptômes fonctionnels ne s’accompagnant pas de lésions gastro-intestinales détectables.
Ce type d’affections est difficile à cerner ?
Oui, l’hypersensibilité au gluten non cœliaque reste difficile à définir car on ne dispose d’aucun critère diagnostique précis ni de mécanisme bien identifié. En fait, nous avons aujourd’hui peu d’éléments scientifiques pour incriminer les protéines du gluten. On sait seulement que certains patients disent que leur état s’améliore quand ils interrompent la consommation de produits contenant du gluten. Mais il est probable qu’un régime sans gluten amène à changer globalement de type régime.
Cette piste conduit aujourd’hui à s’interroger sur l’éventuelle responsabilité de produits tels que le fructose, le lactose, c.à.d. des carbohydrates fermentescibles présents en larges quantités dans les graines. Ces sucres, en favorisant la fermentation bactérienne et la distension intestinale, pourraient entraîner des douleurs intestinales et des troubles du transit en réponse à la stimulation des neurones intestinaux. L’intestin est en effet après le cerveau, le deuxième organe le plus riche en neurones.