« Les mangeurs sains sont très préoccupés par l’alimentation. »
Camille Adamiec est doctorante en sociologie à l’université de Strasbourg. Elle a participé à l’ouvrage Les alimentations particulières. Claude Fischler. chez Odile Jacob. Juin 2013.
Certaines personnes sont très soucieuses de manger sainement. On met parfois sur ce type de comportement le terme d’orthorexie. Qu’en pensez-vous ?
Un docteur américain Steve Bratman a identifié en 2001 ce qu’il a estimé être un trouble alimentaire par le terme « orthorexie » (ortho : droit, orexia appétit, nourriture). A savoir, des personnes très préoccupées par la question de la santé et de l’alimentation. Ces individus se forgent une éthique alimentaire et se conforment à des règles strictes qu’ils édictent eux-mêmes (rituels d’achat, préparation, cuisson…). En tant que sociologue, je travaille sur la tendance sociétale et non sur l’aspect médical qui n’est pas de mon ressort. Je préfère parler de « société orthorexique » et de « mangeurs sains ».
En termes alimentaires, comment se traduit l’orthorexie ou le manger sain ?
Ces personnes fixent des catégories d’aliments qui sont bons ou mauvais pour elles (elles ne suivent pas des conseils de nutritionniste). Cela peut paraître aberrant pour l’entourage – je pense par exemple à cette personne qui ne mangeait que des avocats, du fromage et pas de féculents – mais cela a du sens pour elles.
On distingue cependant chez beaucoup un fil conducteur qui évoque la macrobiotique : les aliments doivent être légers, traverser le corps, ne pas l’alourdir. Le cœur de l’alimentation réside souvent dans les fruits et légumes. On trouve aussi présents le jeûne, la cure, la monodiète (raisins, carottes…) pour se purifier, relancer l’organisme.
S’édicter des règles strictes en matière d’alimentation apparaît comme une source de complication ?
Ce mode de vie peut exiger beaucoup de temps et d’énergie. Les « autres » ont tendance à penser que cela complique la vie, voire que cela la gâche. Les « orthorexiques » ou « mangeurs sains » ne ressentent pas les choses ainsi. Maîtriser, contrôler l’alimentation, avoir des règles, génèrerait plutôt un confort dans un monde caractérisé par l’incertitude et le risque.
Ce type de conduite a des incidences sur la vie quotidienne et la vie en société ?
La rigidité de règles alimentaires fait qu’il devient difficile de manger « à l’extérieur », que ce soit au restaurant ou chez des amis. Ces personnes sont souvent obligées d’amener leur panier repas, s’exposant à divers commentaires, moqueries… Selon le profil et l’âge, le « mangeur sain » parvient ou non à s’en amuser avec ses interlocuteurs. Il y a des « mangeurs sains » qui vivent cela simplement.
Le « manger sain » est-il un comportement passager ?
Ceux que j’ai rencontrés sont généralement dans une continuité forte. Leur engagement remonte à plusieurs années. Souvent, ils élargissent leur comportement à d’autres domaines (usage de plantes et de médecine douce, produits d’entretien non toxiques…). Tous les domaines de la vie sont impactés. Ces gens mettent une sorte de cohérence dans leur vie, trouvent comme une place dans le cosmos. C’est un bénéfice énorme pour eux.