Tristram Stuart, chevalier de l’anti-gaspillage

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activiste contre le gaspillage alimentaire

activiste contre le gaspillage alimentaire

« Nous pouvons gagner la bataille contre le gaspillage alimentaire »

 

Tristram Stuart mène depuis plusieurs années une campagne internationale très active contre le fléau mondial du gaspillage alimentaire. Il vient de publier « Global Gâchis » (traduction de Waste, Uncovering the Global Food Scandal chez Penguin Books), aux éditions Rue de l’échiquier.

 

On parle beaucoup de gaspillage alimentaire, mais on le mesure mal ?

 

Il est très difficile de trouver des données précises sur le gaspillage alimentaire. Les chiffres donnés par les grandes surfaces ou les industriels sont rarement pertinents.  La grande distribution préfère garder l’information secrète. Or, si on veut pouvoir lutter contre le gaspillage, il faut savoir quelle nourriture est gaspillée, dans quelles quantités exactes, pour quelles raisons. Le grand public doit être informé pour choisir les enseignes qui gaspillent le moins. La question de la transparence est cruciale.

 

Dans votre ouvrage, vous citez diverses estimations de gaspillage alimentaire. Quel chiffre global faut-il retenir ?

 

Je suis arrivé à une estimation globale d’environ un tiers de la nourriture mondiale qui serait gaspillée. Depuis la publication de mon livre en Grande-Bretagne en 2009, la FAO a donné une évaluation du même ordre. Il y a un consensus sur ce chiffre.

 

Quelles sont les raisons d’un tel gâchis ?

 

Les grandes surfaces, les commerces, les restaurants jettent énormément de produits, souvent du fait de la difficulté de prévoir les ventes, et parce que l’on veut toujours afficher l’abondance et ne pas manquer des ventes. La grande distribution provoque beaucoup de pertes chez les industriels de l’agro-alimentaire, en annulant au dernier moment des commandes. En imposant des critères esthétiques absurdes, comme le refus de carottes légèrement tordues, on fait jeter aux agriculteurs jusqu’à 30 à 40% de leurs récoltes. Quant aux consommateurs, ils ont rarement conscience de ce qu’ils gaspillent réellement.

 

Quelles conséquences a ce gaspillage ?

 

Avec ce qui est gaspillé par les foyers britanniques, on pourrait nourrir plus de 100 millions de personnes. Les céréales que jettent les Américains (restaurants, commerces, particuliers) suffiraient à nourrir 194 millions de personnes. Les quantités de nourriture gâchées en Occident représentent 3 à 7 fois plus que ce qu’il faut pour nourrir les personnes souffrant de faim ou de malnutrition dans le monde.

 

Les dommages sont également sur le plan de l’environnement…

 

Les aliments ne sont pas des produits comme les autres. Chaque aliment est un petit bout de la planète. Jeter un tiers de notre nourriture revient à détruire un tiers de notre planète pour rien. Derrière la viande et le lait gaspillés en Europe ou aux Etats-Unis, ce sont des millions d’hectares de forêts tropicales qui sont détruits pour faire des pâturages et cultiver du soja. Selon certains calculs, nous aurions déjà réduit des deux tiers le « capital naturel » de la planète, essentiellement en modifiant l’usage des sols pour faire de l’élevage et de la culture.

 

Cela fait plusieurs années que vous militez contre le gaspillage. Est-ce que cette cause progresse ?

 

En Grande-Bretagne, la campagne que nous avons menée durant quatre ans a abouti à une baisse estimée de 17 % du gaspillage des consommateurs britanniques. On a créé une demande pour les fruits et légumes « tordus » ayant un défaut mineur, et on a « sauvé » 300 000 tonnes de produits ces douze derniers mois.

Nos « Banquets des 5000 » où l’on réunit les gens pour faire des curry et des soupes avec des produits sur le point d’être jetés ont de plus en plus de succès. Ce type d’événement amène tous les acteurs et les organisations à faire campagne et à travailler ensemble.

 

Et en France, où l’on vient de publier votre livre Global Gâchis ?

 

Cela bouge incroyablement vite. Une association comme Disco Soupe, toute petite il y a quelques mois, organise désormais des soupes  à base de « légumes sur le point d’être jetés » deux fois par semaine dans une vingtaine de villes en France.  Le gouvernement français sort un plan « anti-gaspi ».

 

Quel est le meilleur moyen pour réduire ce gaspillage ?

 

Le grand public doit comprendre qu’il a le pouvoir de faire changer les choses. Nous pouvons faire pression sur les grandes entreprises, choisir celles qui gaspillent le moins. On peut gagner la bataille contre le gaspillage.