Corinne Joffre est chargée de recherches au laboratoire NutriNeuro (INRAE – Université de Bordeaux – Bordeaux INP). Son laboratoire, en partenariat avec le LEMAR (Université de Brest) et des industriels (Chancerelle -marque Connétable-, Abyss Ingrédients, Diana Pet Food), vient de faire des découvertes sur les effets bénéfiques d’une combinaison d’oméga3 et de peptides bioactifs sur le déclin cognitif lié à l’âge.
De quel type de déclin cognitif parlons-nous ? Quelle est la population concernée ?
Toute personne en bonne santé présente un déclin cognitif qui débute à partir de la trentaine, se poursuit tout au long de la vie adulte et s’accélère à partir de 60 ans. Certaines personnes de plus de 60 ans peuvent présenter des performances inférieures à la moyenne de leur tranche d’âge. C’est cette population que cible notre recherche.
Quelles sont les causes de ce déclin ?
L’une des causes identifiées est une inflammation à bas bruit, c’est-à-dire de faible niveau mais chronique. En effet, il a été établi un lien de cause à effet entre des taux élevés de molécules inflammatoires dans le sang et le déclin cognitif lié à l’âge. Les molécules inflammatoires perturbent le fonctionnement des neurones et par conséquent altèrent les performances de mémoire. Le stress qui génère de l’anxiété, en particulier chez les personnes âgées, est un autre facteur aggravant. En induisant la production de glucocorticoïdes, il impacte le fonctionnement neuronal.
Les oméga3, acides gras polyinsaturés à longue chaîne, sont réputés avoir des effets bénéfiques sur le cerveau. Votre recherche s’inscrit dans cette direction ?
Les oméga3 sont connus pour leurs effets anti-inflammatoires. Leur mode d’action est de mieux en mieux décrit grâce à des études menées chez l’animal et sur cultures de cellules mais il n’y a pas encore de consensus scientifique sur leur mode d’administration. Quels oméga3 utiliser pour limiter l’inflammation au niveau cérébral ? Comment les administrer, sous quelle forme, pour qui… ? Des recherches sont encore nécessaires pour répondre à ces questions.
Lire : Oméga 3 et protéines au secours du cerveau
Au gré d’une collaboration avec des industriels, votre laboratoire a donc testé la piste d’une combinaison oméga3-peptides bioactifs ?
Effectivement, cette étude a été menée dans le cadre d’un projet financé par la Région Bretagne et Bpifrance, regroupant des industriels (Chancerelle -marque Connétable-, Abyss Ingrédients, Diana Pet Food), et deux laboratoires académiques le LEMAR (Université de Brest) et le laboratoire NutriNeuro (INRAE – Université de Bordeaux – Bordeaux INP). Il s’agissait de valoriser des coproduits marins, en l’occurrence des têtes de sardines.
A partir de ces coproduits marins, par différents procédés d’extraction doux et écoresponsables (sans solvant), nous avons extrait des composés bioactifs sous forme de poudre. Cette poudre contient des oméga3 et peptides bioactifs (NDLR segments de protéines). Administrée via l’alimentation chez l’animal âgé (la souris), elle a permis de diminuer le stress et l’inflammation cérébrale et d’améliorer la mémoire.
Les effets des deux types de molécules se renforceraient ?
Certains peptides bioactifs ont des propriétés anti-stress comme cela a été montré chez l’Homme et sur modèles animaux et des propriétés anti-inflammatoires comme cela a été montré chez l’animal et sur culture de cellules. Cependant les mécanismes d’action de leurs potentiels effets anti-inflammatoires ne sont pas connus. On émet l’hypothèse qu’il y aurait des effets de synergie entre oméga3 et peptides bioactifs qui agiraient sur des cibles différentes. Mais cela reste à mettre en évidence.
Pourquoi des coproduits tirés des sardines ?
La sardine est un poisson gras (pour ce qui concerne cette expérience, issu d’une pêche durable de la région Bretagne), riche en oméga3 et en protéines (l’hydrolyse donne beaucoup de peptides), et qui contient peu de contaminants. L’utilisation de coproduits permet une meilleure valorisation des sardines.
Vous avez lancé une étude pour tester ces résultats chez l’humain ?
Nous allons tester cette formule auprès d’une cohorte de 56 personnes, âgées de 60 à 73 ans, en bonne santé globale, présentant un déclin cognitif supérieur à la normale mais non pathologique. Ces personnes recevront deux gélules matin et soir pendant trois mois.
Peut-on imaginer traiter des pathologies neurodégénératives comme Alzheimer avec cet extrait marin ?
Ce produit pourrait peut-être aider des patients à un stade précoce de la maladie en freinant l’inflammation au niveau cérébral mais ne pourrait certainement pas se substituer à l’approche pharmacologique.